Ric O'Barry & Stephania

 

L’histoire de Stephania m’a tellement émue que je souhaite vous la faire partager.

Diane

 

Source:

L’Odyssée bleue

Écrit et produit par Frédéric Lepage

Réalisé par Laurent Frapat

Coproduction Télé Images Nature-France 2, 2000

Commentaires de Gary Granville

 

Lieu: Seaquarium de San Andres, en Colombie. Les animaux s’entassent et se débattent dans des espaces trop petits pour eux. Ils sont mal nourris, mal soignés, et vivent dans des conditions plus qu’indignes.

 

Stephania, la femelle Tursiops, se trouve là aussi. Elle a été capturée à l’âge de 3 ou 4 ans. Cela fait onze ans qu’elle vit en aquarium. A ce jour, elle est exsangue de tout flux énergétique. Cependant, elle s’accroche à la vie. D’autres dauphins n’hésiteraient pas à se noyer ou à se fracasser contre les murs de leur bassin, bref, à se laisser mourir. Mais Stephania s’accroche. Un peu comme si elle savait, comme si elle pressentait, comme si elle avait vu son avenir: son sauvetage par des hommes de cœur et de raison. Elle souffre d’une infection généralisée: cataracte, perte de la moitié de son poids, refus de s’alimenter, le soleil a noirci et brûlé sa peau. Elle se laisse flotter à la surface, inexorablement dans la même position. Son bassin n’a plus été nettoyé depuis longtemps. Stephania baigne dans ses excréments. Autour des nageoires et autour de l’évent, un champignon la fait souffrir. Dans cette eau opacifiée, Stephania, inerte, contemple son seul horizon : la paroi de son bassin. Ce bassin d’environ 5 mètres de diamètres, tellement petit, qu’il ressemble à ce qui serait pour nous, êtres humains, un cercueil. Dans ce bassin, son système complexe d’écholocation est quasiment inactif puisque inutile.

 

Rick O’Barry mène l’opération de sauvetage de Stephania. Son collaborateur n’est autre que le champion de l’apnée: Umberto Pelizzari qui se trouve aux Bahamas, en compagnie des Tursiops et des dauphins tachetés, où Stephania devrait les rejoindre. Sachant la force que peuvent insuffler les liens affectifs, Rick O’Barry retrouve la personne avec qui Stephania avait lié une amitié profonde. Elle a été appelée en renfort et fait partie de l’équipe de sauvetage: Veronica Duport, une jeune femme suisse, qui ne reconnaît plus Stephania. La jeune dauphine vive et dominatrice est devenue une ombre, dépressive, avec la peau sur les os. Après quelques contacts physiques avec Veronica, Stephania donne enfin une réponse en acceptant ses caresses. Veronica reste forte car elle ne souhaite lui envoyer que des influx positifs. Chaque caresse devient un médicament. Cyril Hue est un des meilleurs vétérinaires au monde, spécialisé dans les mammifères marins. Son diagnostic confirme que la candidose est à la fois cutanée et intestinale.

 

Après quelques jours, Stephania accepte la nourriture qui lui est offerte. Tout ce petit monde autour d’elle, s’occupant d’elle, lui faisant écouter de la musique douce, fait qu’elle reprend des forces et exprime sa joie en bougeant enfin. À la surprise générale, elle émet son nom avec insistance (cliquetis par son évent). Elle est encore malade et un voyage est une prise de risque énorme. Cependant, elle ne peut pas guérir dans ce bassin. La décision est donc prise de la transférer vers le retour à son milieu naturel!

 

L’île d’Albukerque (au large du Nicaragua) est le lieu de destination de Stephania. L’embarcation jouit du soutien de l’armée colombienne qui les aide et les protège. Tout le long du trajet, Veronica reste près d’elle, la soutien affectueusement et enduit sa peau de lanoline et de produit hydratant. Umberto Pelizzari se trouve sur Albukerke (double îlot entouré d’une barrière de corail) où il a exploré le futur territoire de Stephania. Il attend de pouvoir l’accueillir. Elle arrive enfin. Elle est introduite dans son enclos de réhabilitation et c’est la stupeur: Stephania est épouvantée par cette eau trop fraîche qui remue sans cesse et n’est pas calme comme celle d’une piscine, par cet horizon sans fin. Arrachée trop jeune à son milieu, elle ne le reconnaît pas. Petit à petit, elle réapprend les mouvements des vagues, comprend qu’il n’y a plus de mur, mais elle est perturbée, elle est frustrée et revient inexorablement vers le sable pour s’y échouer, pour retrouver les marches de ciment de son vieux bassin… Rick, Veronica, Umberto et Cyril sont désappointés. Ils craignent l’échec. Mais Stephania finit par accepter de se nourrir. Umberto plonge alors avec elle pour l’aider à explorer son nouveau territoire. Et une assurance nouvelle gagne le dauphin. Il lui faudra pourtant beaucoup de temps et beaucoup de courage pour ré-apprivoiser l’océan. Stephania, depuis sa capture, n’avait jamais plus été mise en contact avec d’autres formes animales. Durant l’apprentissage de sa réhabilitation, Umberto introduit deux tortues, elles aussi rescapées du centre colombien, objets d’intense curiosité. De même que le chant des baleines à bosse passant au grand large…

 

L’étape suivante pour l’émancipation de Stephania est de casser le contact entre elle et Veronica. Il est contradictoire d’en faire à la fois un animal sauvage et domestique. Une tempête sera aussi de la partie, apprenant à Stephania les forces inépuisables et redoutables de la mer. Une vague ayant fait fléchir la barrière de l’enclos, la tortue en est sortie et un requin a pris sa place. Stephania ignore le danger. Rick O’Barry, après quelques tentatives, parvient à le capturer et à le rejeter à l’eau de l’autre côté de l’enclos. Quelques heures plus tard, il ne fera qu’une bouchée de la petite tortue. L’apprentissage de Stephania se poursuit. Mais elle regarde encore trop souvent en direction de la plage et de ses amis humains. Pourtant, il ne lui manque plus aucun intérêt apparent à sa totale indépendance. Il faut désormais que l’instinct de Stephania la guide, plutôt que son désir d’impressionner les humains. Le temps de l’indifférence est venu.

 

Etape suivante: on transfère Stephania de l’autre côté de l’île dans un autre enclos où une dimension nouvelle intervient, la profondeur. On en profite pour lui faire subir une série d’examens pour vérifier l’état de sa santé: tout va bien. L’agent infectieux a disparu, elle a repris son poids normal et ne souffre d’aucune maladie pulmonaire. Dans son nouvel enclos, elle découvre avec émerveillement son nouveau territoire, son monde futur, vaste et profond, comme cette liberté qui se nomme Océan. Elle plonge et replonge, fonce, saute, fait des galipettes… Stephania peut enfin développer et reconquérir toute la plénitude de ses moyens corporels: la complexité de son écholocation, l’adaptation naturelle de son corps à la pression de la profondeur, le déparasitage de sa peau sur les algues des fonds, etc. Aussi, dorénavant, ce seront des poissons vivants qui lui seront lancés depuis le large. Elle devra apprendre à les capturer avant de pouvoir les chasser.

 

Le jour J arrive: celui de l’ouverture de l’enclos. C’est à Rick O’Barry que revient l’honneur d’ouvrir la porte de la dernière prison de Stephania. Il l’attire au-delà, afin de la rassurer… en vain. Stephania reste fermement dans son enclos. Et soudain, après une très longue attente, Stephania franchit le pas, escortée par Rick, doucement et tendrement. Elle s’éloigne d’Albukerque, prenant le risque de sa liberté, qu’elle choisit délibérément, sous les regards joyeux et humides de ceux qui l’y ont aidée.

 

Par la suite, nous apprîmes que Stephania a préféré demeurer proche des hommes. Elle vit désormais dans les eaux de l’Atlantique. Heureuse et en bonne santé, hôte d’une sanctuaire où elle côtoie d’autres dauphins.